Qu’ils soient vitrines ou serviciels, la plupart des sites sont souvent conçus dans une logique “one shot”. Il n’est donc ni pertinent ni réaliste de mettre en place un design system complet ou encore moins d’essayer de réutiliser celui destiné aux applications. Ces sites ont des besoins spécifiques : traduire un service, une promesse, une expérience utilisateur claire avec une expression forte de la marque. Leur enjeu n’est pas l’utilisation des composants à grande échelle, mais la cohérence de marque et la cohérence de parcours. Dans ce contexte, une approche modulaire légère et basée sur des blocs réutilisables, permet de trouver un équilibre : on bénéficie des principes de systématisation sans le poids ni la complexité d’un design system global.

 

Qu’est-ce qu’une approche modulaire ?

 

L’approche modulaire s’inspire directement de l’Atomic Design théorisé par Brad Frost, qui propose de concevoir les interfaces comme un assemblage d’éléments hiérarchisés. Cela va des atomes (boutons, icônes, champs) aux templates de pages en passant par les organismes (sections complètes, blocs fonctionnels).

 

Les 5 niveaux qui composent l'atomic design de Brad Frost
L’atomic design repose sur cinq niveaux : atomes, molécules, organismes, gabarits (templates) et pages. Il permettent de créer des systèmes de conception d’interfaces efficaces (design systems). ©Brad Frost

 

Dans le cadre d’un site, l’objectif sera de travailler rapidement à l’échelle des organismes comme des unités cohérentes qui structurent visuellement et fonctionnellement les pages (héros, témoignages, cartes de service, etc.). Au lieu de redessiner chaque page, on assemble et adapte ces modules définis. Cette approche permet d’établir un langage visuel stable, un cadre clair où l’on distingue ce qui peut évoluer (couleurs, visuels, contenus) de ce qui reste stable (structure, hiérarchie, comportement).

 

Les bénéfices de l’approche modulaire

 

Cohérence d’interface

Tous les modules respectent les mêmes principes : marges, alignements, typographies, boutons, etc. L’utilisateur reconnaît les éléments, sait à quoi s’attendre, même si le contenu varie. Cela améliore l’homogénéité et, de fait, allège la charge cognitive.

 

Expression cohérente et maîtrisée de la marque

Cette approche renforce également l’expression de la marque. En ancrant les codes visuels (typographies, iconographie, ton, rythme des espaces) dans des modules bien définis, ce système garantit une identité forte et homogène. Les blocs deviennent des vecteurs de personnalité : chaque composant traduit la marque à sa manière, tout en respectant le cadre global.

 

Efficacité de production et de maintenance

Penser le site en modules réutilisables transforme la production en un processus d’assemblage plutôt que de création à partir de zéro. Chaque nouvelle page ou section se construit à partir de blocs déjà éprouvés, ce qui réduit drastiquement le temps de conception et de développement.

 

Blocs fonctionnels disponibles dans le thème Wordpress Uncode.
Exemple de librairie de blocs prédéfinis (+ de 750 disponibles) du thème Wordpress Uncode @Undsgn

 

Cette logique modulaire rend également le site plus évolutif : lorsqu’une charte graphique évolue ou qu’un composant doit être ajusté, il suffit de simplement modifier le module concerné. La mise à jour se répercute alors automatiquement sur l’ensemble du site, sans avoir à intervenir page par page.

 

Simplicité de mise en page (et de test)

Grâce aux modules, il est plus facile de mettre en place des pages et de tester des variantes (A/B test de landing page, alternative de formulaire, etc). On peut itérer, mesurer, ajuster en utilisant des blocs différents sans avoir à créer l’ensemble du design.

 

Collaboration et alignement des équipes

Le design modulaire crée un vocabulaire commun pour les équipes destinées à intervenir sur le site (designers, développeurs, équipes marketing,…). Une en-tête de page, une card, un bloc témoignage sont clairement définis. Chacun sait ce que ça implique, ce qu’il peut modifier, ce qu’il ne doit pas toucher.

 

Bien réussir sa modularité

 

Penser la modularité de son site peut sembler simple au premier abord. En réalité, cela demande une vraie rigueur dans sa mise en œuvre et une préparation solide en amont. L’enjeu du designer est de construire un système suffisamment structuré pour garantir la cohérence, tout en restant assez souple pour l’univers de marque et pour accueillir les spécificités des contenus.

 

Travail de bloc modulaire pour les sites Helmett et Helmett Sports par Yumans
Le travail mené sur Helmett et Helmett Sport a permis de constituer une librairie de modules (ou organismes), capable de couvrir de manière unifiée l’ensemble des cas nécessaires à la création de nouvelles pages, tout en s’adaptant aux différents univers des deux marques. ©Yumans Design

 

Construire à partir de la charte graphique

Pour insuffler l’ADN de la marque, la modularité doit s’appuyer sur la charte graphique existante. Typographies, couleurs, styles graphiques ou principes d’espacement constituent les fondations du système. C’est en intégrant ces éléments dans les modules que l’on préserve la cohérence visuelle et la singularité de la marque à chaque niveau d’assemblage.

 

Se distinguer du design system dédié aux applications

Lorsqu’un design system dédié aux applications existe déjà, il ne faut pas l’ignorer. Cependant, les outils centrés sur le produit ou la plateforme privilégient souvent l’efficience fonctionnelle au détriment de l’expression de la marque. Dans le contexte d’un site même serviciel la logique est différente. La modularité doit laisser plus de place à la communication et au design émotionnel, pas uniquement aux fonctionnalités.

 

Réaliser un inventaire clair des modules

Avant toute chose, il faut dresser un inventaire précis des composants existants : en-têtes, pieds de page, formulaires, boutons d’appel à l’action (CTA), blocs de contenu, etc. Chaque module doit être identifié, nommé et normé. Cela permet de visualiser la structure globale du site et de repérer les doublons, les manques ou les incohérences.

 

… Et un inventaire des contenus

La modularité ne concerne pas que la forme : elle s’étend aussi au contenu. Identifier les champs variables (titres, images, nombre de colonnes, icônes, etc.) permet d’anticiper les différents cas d’usage et de calibrer la flexibilité de chaque module. Cet inventaire clarifie également la part de liberté laissée aux contributeurs : ce qui peut changer et ce qui doit rester fixe.

 

Simplifier la personnalisation grâce aux variables

Pour personnaliser rapidement un module, il est essentiel d’avoir recours à un système de variables (couleurs, typographies, styles de boutons, thèmes). Ce principe rend la personnalisation fluide : changer une teinte ou créer une déclinaison thématique ne demande plus de tout reconstruire, mais simplement d’ajuster quelques paramètres.

 

gestion des environnement de marque grace au système de variables Figma
Le système de variables de Figma permet de gérer facilement les personnalisations et de créer des thèmes en quelques ajustements.

 

Préserver la flexibilité et l’expression de la marque

Tous les modules ne doivent pas être figés. Laisser des zones libres ou modulables permet d’adapter la mise en page au contenu et de préserver une marge de créativité. Intégrer des espaces dédiés à des visuels, animations ou éléments promotionnels renforce l’expression de la marque et empêche la standardisation excessive.

 

Limites de la modularité

 

L’agencement des modules ne doit rien au hasard. Il serait réducteur de penser qu’il suffit d’aligner des blocs pour obtenir une page cohérente. La modularité ne dispense pas de respecter les fondamentaux de la mise en page éditoriale, ni les bonnes pratiques de design graphique et de hiérarchie visuelle.

Certaines règles sont évidentes : pas de header en bas de page, pas de double bloc “newsletter” à la suite, … Mais d’autres, plus subtiles, relèvent du rythme visuel et de la respiration graphique. Un enchaînement mal pensé peut transformer une page en mosaïque de couleurs illisible ; à l’inverse, un excès de texte peut lui donner un aspect statique ou austère.

Pour éviter ces écueils, une documentation claire et à jour est indispensable : bonnes pratiques, règles d’assemblage, usages et limites de chaque module. Le regard du designer reste essentiel pour orchestrer visuellement les contenus, garantir la cohérence, et préserver la qualité esthétique de l’ensemble.

 

Exemples de mauvais et bons assemblages modulaires
Il est essentiel de respecter les bonnes pratiques de composition éditoriale, au risque de se retrouver avec un contenu mal hiérarchisé et déséquilibré, rendant l’ensemble du site difficile à lire et à comprendre.

 

Conclusion

 

Adopter une approche modulaire, c’est repenser la conception d’un site non plus comme une succession de pages figées, mais comme un écosystème flexible et structuré. Cette méthode allie cohérence visuelle, efficacité opérationnelle et expression de marque, tout en reposant sur un cadre clair où la créativité du designer conserve toute sa place.

Bien maîtrisée, la modularité devient un atout pour faire évoluer un site dans le temps, tester de nouvelles idées et maintenir une qualité constante, même dans un environnement collaboratif.

©Illustration de Aleksei Vasileika sur Dribbble.


Julien Vidal

UI Designer & Associé

Designer d’interface depuis plus de 12 ans, j’ai travaillé en agence, en start-up et en ESN avant de rejoindre Yumans comme Directeur de création et UI Designer senior.
J’y conçois des expériences digitales intuitives, accessibles et durables pour des solutions SaaS, applications mobiles et plateformes web.

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