C’est ainsi que ceux qui ont eu la chance de passer dans l’ère digitale (car oui, il y a encore énormément de papier et de fichiers Excel) se retrouvent devant des applications avec des triples navigations, des pages non scrollables dans lesquelles il faut zoomer pour faire la part des choses, des applications uniquement ouvrables avec Internet Explorer ou encore à naviguer dans de magnifiques interfaces insipides, sans aucune émotion ni dans le visuel, ni dans le langage.

Exemple d'application métier
…et encore là c’est présenté dans un mockup d’iMac !

Et évidemment pour comprendre et utiliser ces systèmes digitaux, il faut suivre une formation d’un ou plusieurs jours. Il arrive même qu’il faille utiliser pendant plusieurs mois un guide utilisateur… au format papier !

Cependant les ingénieurs, les banquiers, les agents administratifs, les ouvriers en bâtiment, les contrôleurs aériens… sont avant tout des hommes et des femmes comme tout le monde ! Quand ils rentrent chez eux, ils vont sur les réseaux sociaux, ils commandent leurs courses au drive, regardent la météo sur leur smartphone, écoutent de la musique avec leur enceinte Bluetooth, vont chercher des recettes de cuisine en ligne, réservent des hôtels en ligne, payent avec le sans contact… Aujourd’hui, qu’on soit à l’aise ou non avec le digital, nous vivons tous de bonnes expériences digitales avec une qualité et une excellence des services en constante amélioration.

Alors pourquoi ce serait différent dans un contexte professionnel ?

Un des éléments de réponse est que les concepteurs des applications professionnelles ont trop laissé de côté l’utilisateur et de manière générale, l’humain ! Comme nous le rappelle Don Norman dans son mythique livre The Design of Everyday Things, il y a deux notions importantes dans la conception que ce genre d’application ne prend pas en compte.


Trop focalisé sur la tâche industrielle

La première est, qu’en tant qu’humain, nous ne pensons pas par tâches mais par activités. En effet, si nous prenons le cas de la musique, nous n’écoutons pas de la musique pour écouter de la musique, nous écoutons de la musique pour nous déstresser, pour nous concentrer, pour nous amuser… La notion d’écouter de la musique fait partie d’un ensemble de « tâches » que nous exécutons, pour certaines, par habitude et, pour d’autres, par concentration notamment quand celles-ci sont nouvelles. Pour comprendre la différence, voici un exemple appliqué au monde du digital avec une application focalisée sur la tâche et une sur l’activité.

task vs activity

Le problème avec les applications métiers et industrielles est que, bien trop souvent, les concepteurs ont uniquement pensé à la tâche et la manière dont l’architecture technique doit être construite pour y répondre. Pour faire simple, on va dire que le back office technique et la construction de la base de données prennent le dessus sur les usages des utilisateurs et sur la manière dont l’outil va s’intégrer à son activité.


Une conception sans émotion

La seconde est, de la même manière, qu’en tant qu’humain, nous sommes guidés dans nos actions par notre cognition et nos émotions. En effet, c’est la cognition qui nous permet de comprendre nos actions et les émotions qui nous poussent à agir et apportent de la valeur à ces actions (est-ce que c’est bien, pas bien ; j’aime, je n’aime pas…). La cognition et les émotions ne peuvent donc pas être séparées dans la conception d’applications digitales.

cognition et emotion

Là encore, les applications industrielles et métiers font souvent l’erreur de négliger l’aspect émotionnel que ce soit en termes de visuel, d’usage mais aussi de langage.


Faire de l’UX, du vrai UX !

L’expérience utilisateur prend ainsi tout son sens dans la conception d’outils digitaux à destination d’une cible professionnelle car bien souvent il y a tout à faire et ce n’est pas toujours facile car les process métiers peuvent parfois être très complexes.

La conception de ces applications demande ainsi une grande part d’exploration des besoins utilisateurs car en tant que designer nous n’avons pas tous les jours l’occasion de rentrer dans une usine de fabrication de voitures, de suivre des pompiers en intervention ou encore de grimper en haut d’une tour de contrôle. La phase d’exploration est ainsi primordiale avec de nombreuses interviews, ateliers et observations pour essayer de comprendre et d’analyser les objectifs, motivations et limitations de chaque groupe d’utilisateurs. Il est également important de cartographier l’activité actuelle des utilisateurs afin de placer l’ensemble des tâches et des interactions avec les autres outils et les autres entités de l’entreprise qui sont parfois nombreuses. De cette façon, nous pouvons voir les premières frictions fonctionnelles et émotionnelles puis détecter de nombreuses opportunités d’amélioration grâce notamment au digital.

Vient ensuite la phase de définition du produit qui demande là encore d’intégrer les utilisateurs finaux, les équipes business, la DSI et les équipes de développement dans la réflexion. A cette étape, il est très important de rapidement poser les users flow des principales users stories, la navigation et la structure des pages pour avoir une validation du nouveau process avant de passer en phase de création.

Dans un contexte professionnel, nous ne pouvons pas concevoir d’application sans passer par les wireframes qui permettent vraiment de poser les principales fonctionnalités et pages clés afin de se rendre compte du travail de contenu et de structuration que cela impliquera chez le client. Pour faire rentrer un peu d’émotion dans ce monde de brute, il est également important de commencer par définir un style guide qui sera bien souvent décliné de la charte graphique groupe et permettra de designer l’ensemble des écrans et des états. Le plus optimal étant d’avoir déjà un design system en place, mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans un autre article.

Enfin, une étape bien souvent sous-estimée dans ce genre de conception est la phase d’évaluation avec des tests utilisateurs en conditions réelles qui donnent bien généralement de nombreux inputs pour la suite de la conception notamment dans le cas d’un développement en mode agile.


Penser Human 2 Human

L’UX devient donc de plus en plus inévitable dans un contexte métier et industriel car au-delà de l’aspect humain se cache aussi un retour sur investissement non négligeable pour les entreprises tant en termes de temps, d’argent que de profitabilité. Il est ainsi grand temps que les applications professionnelles se mettent au même niveau de qualité que les applications que nous utilisons dans notre quotidien et que l’on commence à arrêter de penser BtoC, BtoB, BtoE, mais plutôt penser HtoH… pour Human to Human !

Article paru initialement en octobre 2017 sur Newflux. Photo by Inspirationfeed on Unsplash