Comme cela est coutume dans ce genre d’article, nous allons commencer par rappeler quelques chiffres autour de l’éco-conception. Selon différentes études, le secteur du numérique serait responsable de 2 à 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre en 2020 dont 25% dues aux data centers, 28% aux infrastructures réseau et 47% aux équipements des consommateurs (source : ADEME).

C’est notamment à cause de leur fabrication, de leur rapidité d’obsolescence, de leur difficulté de recyclage et de leur croissance constante que les terminaux ont le plus gros impact sur l’environnement. Rien que pour la téléphonie mobile, plus de deux tiers (67,1 %) de la population mondiale est équipé d’un terminal et le nombre d’utilisateurs uniques est de plus 5,3 milliards en 2022 (source : We Are Social et Hootsuite). 

Mais quel est l’impact des services et produits numériques dans tout ça ? Face à la numérisation croissante de tous les usages, nous consommons de plus en plus de sites internet, applications mobiles, logiciels métiers… Ceux-ci sont de plus en plus performants, lourds, mis à jour régulièrement, gourmands en énergie et en requête serveur. Cela participe ainsi à l’obsolescence des terminaux en demandant toujours plus de puissance, de réseaux, de mémoire, de stockage… On parle aussi de syndrome de l’obésiciel.

C’est alors qu’entre en jeu la démarche d’éco-conception, appelée parfois Green UX pour faire plus tendance.

Qu’est-ce que l’éco-conception ?

La démarche d’éco-conception a pour objectif de réduire les impacts environnementaux d’un produit ou service en limitant les ressources informatiques et énergétiques que les terminaux, réseaux et data centers produisent tout au long de leur cycle de vie :  lors de leur utilisation mais aussi lors de leur fabrication et de leur fin de vie. 

L’éco-conception doit être prise en compte au plus tôt dans le cycle de vie du produit ou service numérique et s’améliorer de façon continue avec les évolutions fonctionnelles, graphiques et technologiques. 

Pour apporter des recommandations et des bonnes pratiques à mettre en place, différents documents existent dont la norme ISO 62430, le référentiel général d’éco-conception de services numériques (RGESN). D’autres documents moins officiels mais tout aussi pratiques existent comme le guide d’éco-conception de services numériques proposé par l’association Designers Éthiques ou encore le livre de Frédéric Bordage : Eco-conception web : les 115 bonnes pratiques.

Comment concevoir de manière plus écoresponsable ?

Selon les différentes documentations, il existe quelques bonnes pratiques à mettre en place et qui ne sont, pour la plupart, pas incompatibles avec la conception de produits et services fonctionnels, ergonomiques et esthétiques. C’est même tout le contraire car la démarche d’éco-conception est très proche d’une démarche d’UX Design. Très concrètement, à la lecture des documents, nous avons identifié 4 grands axes sur lesquels agir. 

1 / Mieux cadrer les besoins et rationaliser les usages 

Pour avoir le moins d’impact sur l’environnement, le produit ou service doit être avant tout utile et utilisé. Ça paraît évident mais énormément de sites, apps et logiciels se créent sans avoir identifié la raison et ni le contexte d’usage. Il arrive même que les utilisateurs finaux n’aient pas été clairement identifiés. L’idée ici n’est pas d’avoir qu’une seule solution par besoin ou de limiter les solutions numériques aux simples usages fondamentaux mais de mieux cadrer les projets avant leur lancement et de rationaliser les fonctionnalités à celles les plus essentielles.

2 / Simplifier la navigation et l’accès au contenu

Pour simplifier les fonctionnalités et réduire les temps d’utilisation des solutions numériques, il faut simplifier les parcours utilisateurs et fluidifier l’expérience. L’utilisateur doit pouvoir rapidement accéder aux fonctionnalités clés, dès la page d’accueil et peu importe le terminal avec lequel il se connecte (smartphone, tablette, smartphone). Les démarches de responsive design, mobile first et accessibilité participent donc à élaborer des produits plus écoresponsables et moins énergivores. 

3 / Imaginer une interface sobre et utiliser des médias optimisés

Les contenus types images, illustrations, documents pdf, vidéos peuvent rapidement peser lourd dans le poids des solutions et dans les performances d’affichages. Dans une démarche d’éco-conception, il est donc important d’avoir une utilisation limitée de ces contenus. L’enjeu est de les utiliser si seulement ils apportent un plus dans la compréhension des utilisateurs et participent à un usage. Il est également recommandé d’optimiser leur poids, leur taille et de ne pas lancer automatiquement les contenus animés. 

4 / Limiter les requêtes serveur

Dans les interfaces contemporaines, cet axe est sûrement celui qui peut le plus limiter la conception et certains comportements qui se sont popularisés. Limiter les requêtes serveur implique notamment de réduire les animations Javascript, privilégier une pagination (vs un scroll infini), limiter l’auto save, éviter l’auto complétion avec résultats dans les moteurs de recherche, découper un formulaire en sous étape… Néanmoins, cela pousse à bien guider l’utilisateur dans les formulaires (ex: donner le format attendu, le format et le poids des fichiers, ouvrir les bons claviers sur mobile…). La logique de notification est également impactée afin de l’utiliser uniquement lorsque cela est nécessaire ou utile à l’utilisateur. Dommage pour les notifications promotionnelles ! 

L’éco-conception, le meilleur allié de l’UX Design ?

La question se pose surtout concernant les deux premiers points qui peuvent se résoudre simplement en utilisant une méthodologie UX Design et une logique de MVP. La partie sur la sobriété et l’optimisation des médias reste cohérente sur le plan fonctionnel et de la performance mais peut apporter des limitations sur les aspects graphiques. Il est donc important de le prendre en compte dès le début et de mettre en place des logiques créatives adaptées. Enfin, la limitation des requêtes serveur reste le point qui peut le plus impacter le fonctionnel et peut, parfois, entrer en contraction avec la simplification des parcours.

Quelle est la responsabilité du designer ?

Depuis quelque temps, nous voyons éclore de nombreux designers mettant en avant leurs valeurs environnementales dans leur pratique professionnelle. Nous voyons également apparaître la notion d’éco-conception dans les sections design des appels d’offres publics. Mais quelle est vraiment la part de responsabilité et d’action du designer numérique (UX Designer, UI Design, Product Designer) ? Est-ce qu’au-delà de la tendance, le designer peut avoir un réel impact ? 

Le designer, comme tout un chacun, peut mettre en place des actions permettant de limiter les impacts environnementaux d’une solution numérique. La rationalisation des parcours, la bonne compréhension des usages et des utilisateurs sont la nature même de l’UX design. Hormis les réflexions sur l’expérience utilisateur, les autres leviers qui peuvent être actionnés par le travail du designer ne représentent qu’une part infime de ce qui peut être optimisé sur un projet. Il n’est pas nécessaire de tomber dans l’austérité en prenant pour prétexte l’éco-conception. L’utilisation d’une Google web font, d’une photo en header ou d’un formulaire en 5 étapes ne doublera pas l’impact de votre produit, tout est une question de mesure.

L’engagement est avant tout une action collective, ou toutes les parties prenantes ont un rôle à jouer. Et c’est le créateur d’un nouveau produit ou service qui en est le premier responsable. Il est actuellement facile de lancer des projets sur la base d’une “bonne idée” venue pendant la nuit, un outil coûteux en ressources pour peu d’utilisateurs, ou de nouvelles fonctionnalités pour des raisons de politique interne. Avant de se lancer, il est primordial de se poser la question de l’utilité de ce que l’on entreprend.

Le designer, en tant que maillon de la création de services numériques, a bien évidemment un impact. Il doit jouer son rôle de vigilance et de conseil en ancrant durablement les règles de bonnes pratiques et d’écoresponsabilité dans son travail de design. Cependant sa responsabilité est limitée et doit s’inscrire dans une démarche globale et collective. Le rôle de super-héros de la responsabilité que peuvent endosser certains designers, ne reste malheureusement qu’une posture self-branding. 

Dans une démarche de sincérité, un produit devra être “éco-pensé” avant d’être “éco-conçu” avec une approche responsable et systémique de son impact écologique. 

Une responsabilité citoyenne avant tout

Si on se concentre sur les chiffres et les facteurs qui ont le plus d’impact environnemental dans le numérique, il faudrait commencer par réduire le renouvellement de ses terminaux. En tant que citoyen, en évitant de changer de smartphone tous les deux ans et, en tant qu’organisation, par une meilleure gestion des achats et du recyclage. Pour aller plus loin sur le sujet, la mission interministérielle au numérique écoresponsable vient d’éditer le guide de bonnes pratiques numérique responsable pour les organisations avec une vision plus holistique qui, à notre sens, aura un impact plus fort que de faire quelques modifications design sur une solution numérique.