Qu’est-ce qu’un biais cognitif ?
Un biais cognitif est un mécanisme de pensée irrationnel, non aléatoire, qui en fonction d’un contexte donné conduit à des raisonnements différents.
Deux types de pensée s’opposent. La pensée logique – aussi appelée pensée lente – se caractérise par une démarche structurée, avec l’identification d’incohérences et de problèmes dans le but de trouver la ou les réponses les plus appropriées. La pensée rapide, elle, s’appuie sur des raccourcis de pensée, des heuristiques, qui conduisent à une prise de décision quasi-automatique mais qui peuvent conduire à des erreurs de raisonnement appelées biais cognitifs.
Prenons l’exemple du biais de cadrage. Il démontre que l’être humain est influencé par la manière dont est présentée une information, dans un contexte donné.
Pourquoi existent-ils ?
Sûrement l’héritage d’une longue histoire évolutive et de la sélection naturelle. Même si les temps ont changé, le cerveau s’appuie toujours sur ces raccourcis pour prendre des décisions, notamment dans les situations identifiées ci-dessous.
- Trop-plein d’informations,
- Besoin de donner du sens à une situation,
- Capacité limitée de mémoire,
- Besoin d’agir rapidement.
Pourquoi le designer doit-il connaître ses propres biais cognitifs ?
Pour s’améliorer bien sûr ! Tout débute par une prise de conscience. Les biais cognitifs existent mais mauvaise nouvelle, il n’est pas possible de les supprimer de notre système de pensée. Il s’agit d’un phénomène normal ! Cela ne veut pas dire que vous disposez de l’argument incontestable “Je n’y peux rien, ce sont mes biais cognitifs”.
Ainsi, les apprendre par cœur ne servirait à rien, mais les lire et prendre le temps de s’y intéresser est une première étape importante.
De plus, l’experte doit être vigilante car une certaine rigidité cognitive peut s’installer pour la conforter dans ses croyances, ses préjugés, notamment face à de nouvelles informations. Comme le démontre la cognitiviste Pascale Toscani, “Nous pouvons nous engager dans un processus de résistance pour nous défendre contre le risque de voir certaines de nos habitudes de pensée remises en cause”. On vous aura prévenu.
Comment limiter les biais cognitifs dans vos travaux de design ?
Pour éviter cette “cécité de jugement”, voici quelques conseils pour réduire les biais cognitifs et mettre en place des actions salvatrices.
TRAVAUX RÉALISÉS : QUESTIONNAIRE / INTERVIEW
Privilégier un affichage aléatoire des réponses pour limiter la faible implication du répondant.
Lors de la réalisation d’un questionnaire, ce phénomène qualifie le fait que les répondants optent pour la première des réponses qui leur paraît acceptable en ne cherchant pas plus loin. La tendance à la faible implication dépend principalement de :
- la difficulté perçue des questions,
- de la capacité du répondant à se souvenir représente
- de l’information demandée,
- de la capacité du répondant à répondre à la question posée,
- la motivation du répondant.
Casser le rythme des contenus pour réduire l’effet halo.
Si plusieurs questions d’affilée sont posées dans le même sens ou selon la même échelle, les réponses apportées auront tendance à être les mêmes. Nous avons donc tendance à construire une interprétation, positive ou négative, à partir d’une perception sélective d’informations liée à la première impression.
Afin d’éviter ce biais, il est utile de casser le rythme des blocs de questions en introduisant des questions ouvertes, ou des échelles inversées, ou des formulations différentes etc.
Éviter les modalités de réponses binaires (oui/non ; vrai/faux) pour réduire les effets de positivité.
Il est plus naturel de répondre positivement à une question plutôt que négativement. À grande échelle, le biais de positivité tend à être équilibré par la représentation des opinions divergentes.
Cependant, pour diminuer ce biais, il faut jouer sur les modalités de réponse, en proposant par exemple des échelles bipolaires (accord/désaccord) ou des propositions contrebalancées sur lesquelles il faut se prononcer (soit poser deux questions identiques en retournant le sens de la proposition).
Faire tester votre support pour identifier des effets d’amorçage.
L’effet d’amorçage survient lorsque les questions antérieures vont aider l’enquêté à attribuer (erronément ou non) un sens précis aux questions suivantes. Ainsi, poser deux mêmes questions dans un sens ou l’autre peut modifier les réponses obtenues.
TRAVAUX RÉALISÉS : OBSERVATION / INTERVIEW / TESTS UTILISATEURS
Adopter une attitude neutre ou supprimer le rôle de l’administrateur pour contrer la désirabilité sociale.
Il s’agit de la volonté de l’humain à se montrer sous un jour favorable. Lors de la réalisation d’un questionnaire ou d’un test utilisateur, le mode de diffusion impactera les réponses et la désirabilité sociale.
Il est prouvé que la collecte administrée par un enquêteur par rapport à la collecte en ligne permet 1) d’obtenir des réponses de meilleure qualité que la collecte en ligne 2) suscite une désirabilité sociale plus grande chez le répondant. La présence d’une personne introduit inéluctablement ce type de biais. Il est indispensable que l’UX researcher adopte une posture objective et bienveillante, minimise les contacts informels et n’influence pas le répondant.
Travailler à partir d’un échantillon représentatif.
Il est toujours tentant de porter un jugement à partir de quelques données. Le designer doit garder à l’esprit que le retour de 2-3 personnes tout-venant ne représente pas la population sur laquelle on désire inférer les résultats. Il s’agit d’hypothèse de travail. Et quand bien même vous disposez d’un échantillon représentatif, cela ne permet pas d’obtenir une image exacte et sans erreur de la réalité, mais un encadrement de la vraie valeur. L’obsession de l’UX researcher doit être de tendre vers une objectivité des données.
Multiplier les sources de collecte d’informations pour limiter l’effet de vérité illusoire.
L’effet de vérité illusoire peut conduire la chercheuse à croire la véracité d’une information après une exposition répétée. Comme l’explique la psychologue Lisa Fazio, “lorsque vous voyez le fait pour la deuxième fois, il est beaucoup plus facile à traiter. Notre cerveau interprète cette fluidité comme un signal indiquant que quelque chose est vrai“.
Développer un réflexe de sceptique pour contrer cet effet et chercher à confronter le retour d’une utilisatrice à d’autres sources de données (rapport, photographie, diversité des interviewés…).
Méfiez-vous de la mémoire, elle est truffée d’approximations, d’erreurs et de détails ajoutés a posteriori.
La mémoire renforce les erreurs ! De nombreuses études ont démontré la défaillance de la mémoire. Les souvenirs peuvent être influencés par un contexte, des émotions…Ainsi les ressentis associés à des souvenirs peuvent être réécrits, permettant d’adoucir des événements douloureux du passé et à l’inverse d’assombrir des moments joyeux. Dans le cas d’un faux souvenir, c’est un phénomène psychologique qui consiste à se remémorer un événement qui, en fait, n’a pas eu lieu.
Afin de limiter la production de souvenirs altérés, il est essentiel d’éviter toute suggestion, de formuler des phrases non biaisées et d’utiliser le plus possible des questions ouvertes. Côté interviewé, méfiez-vous des hésitations ou des syntaxes verbales “je crois que…”, « il me semble que…”, cela peut-être le signe d’une mémorisation erronée.
TRAVAUX RÉALISÉS : CONCEPTION UX / IU
Soyez humble et curieuse pour détruire l’illusion de savoir.
Lorsqu’une situation est jugée comme étant similaire à d’autres situations connues par le passé, le designer peut avoir tendance à minimiser la collecte de nouvelles informations, partant du principe qu’il les connaît. “Avec ce type de client, c’est toujours pareil … Pour ce type de frameworks, ce sont toujours les mêmes règles … Avec ces utilisateurs, ce sont les mêmes besoins”.
Avec cette attitude, l’expert pourrait sous-exploiter les possibilités et passer à côté du sujet. Chercher à recueillir d’autres informations, d’autres points de vue avant de partir vers la production de wireframes ou de maquettes graphiques.
Se méfier du biais de familiarité pour rester créatif.
Il est souvent acté que les choix de design sont effectués parce qu’ils sont les plus appropriés à la situation. Il est plus rare d’admettre que les décisions sont motivées par les habitudes du designer. Choisir ce que l’on connaît rassure et permet de limiter l’investissement, l’énergie et la concentration face à de nouvelles situations. Par exemple, faut-il systématiquement penser mobile-first ?, cet article interroge les designers sur la pertinence de concevoir mobile-first pour tous les projets.
Rester partial face à la perception sélective et à l’immunité à l’erreur.
Le commun des mortels a tendance à sélectionner les informations qui l’arrangent, qui sont conformes à ses convictions. Cela conduit inévitablement à penser que ses propositions sont toujours meilleures que celles des autres. Lors de la phase de conception, chaque designer livre une production personnelle, où la remise en question des travaux peut s’avérer compliquée. Cela peut conduire à ne pas voir ses propres erreurs ou lacunes ou de les minorer.
Facile à repérer, c’est lorsqu’on détourne l’attention sur un autre sujet, qu’on cherche des causes externes #biais d’auto-complaisance ou encore qu’on minimise les faits pour éviter toute contradiction avec nos propres valeurs. La prise de recul et la remise en question sont l’occasion d’apprendre de ses erreurs et d’entendre les retours constructifs. Éviter également le surengagement émotionnel.
Quels garde-fous utilise-t-on chez Yumans ?
Travailler en équipe est un moyen efficace pour lutter contre les biais cognitifs. Tous les travaux écrits sont relus, des sessions de revues design sont réalisées. Parfois, nous demandons l’avis de personnes externes au projet, dans un souci de neutralité.
Partir de données objectives plutôt que d’un ressenti, notamment pour la partie traitant de l’expérience utilisateur. Dans la mesure du possible, nous collectons des données quantitatives et qualitatives.
Produire des hypothèses de travail en début de mission, comme fil conducteur de nos travaux. Certaines décisions doivent être conscientisées et validées par tous.
Être capable de détecter une décision irrationnelle. Plus difficile ! Lorsque nous ne sommes pas capables d’argumenter un choix dans la conception, cela doit nous alerter, surtout sur les décisions fonctionnelles d’une interface.
Accepter de se remettre en question. Même si cela n’est jamais agréable, le challenge de nos travaux UX / UI est toujours au cœur de nos préoccupations. Que pouvons-nous améliorer ? Que devons-nous supprimer ? Comment faciliter le travail des autres partenaires ?
Restez curieux. Cultiver nos lectures dans tous les domaines, aller à la rencontre d’autres professionnels, déambuler dans les couloirs des musées, participer à des échanges enflammés entre collègues…
Conclusion
Indéniablement, les biais cognitifs représentent un avantage pour une tranquillité d’esprit mais doivent être conscientisés pour limiter les erreurs de raisonnement et de jugement. Un certain nombre de biais peuvent influencer les travaux et ainsi amoindrir la qualité du travail. Alors, gardez en mémoire les situations simples de la vie quotidienne citées ci-dessus qui favorisent les biais cognitifs.
©Illustration d’Anton Kakhidze sur Dribbble.
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